Interview - Cabinet Gouache Avocats « Une plus grande clarté et une meilleure sécurité juridique pour l’ensemble des opérateurs » avec Égalim 4
Jérôme Guillé et Jean-Baptiste Gouache, avocats spécialisés dans le droit de la concurrence, membres du cabinet Gouache Avocats, donnent leur analyse concernant les lois Égalim, notamment les évolutions à prendre en compte pour la prochaine loi Égalim 4. Jean-Baptiste Gouache a exercé auparavant des fonctions opérationnelles dans une entreprise de distribution. Son équipe accompagne plus de 600 enseignes.
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Quelles ont été les grandes avancées dans les relations entre fournisseurs et distributeurs des lois Égalim 1, 2 et 3 ?
Les lois Égalim (pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous) ont été mises en place en France pour rééquilibrer les relations entre les grands acteurs de la chaîne de distribution alimentaire.
L’une des mesures phares de la loi Égalim 1 (2018) a été de procéder à l’inversion de la construction des prix ; désormais les contrats et les prix associés destinés aux transformateurs et aux acteurs de la distribution sont proposés par les agriculteurs en prenant en compte des indicateurs de coûts de production. Elle a notamment introduit une facilitation de la renégociation des prix en cours de contrat, en cas de forte variation du prix des matières premières et de l’énergie pesant sur les coûts de production, et le relèvement du seuil de vente à perte de 10 %.
La loi Égalim 2 (2021) s’est concentrée sur la contractualisation afin de protéger la rémunération des agriculteurs, avec des contrats pluriannuels et un mécanisme de révision automatique des prix. Elle interdit que la négociation des prix des produits alimentaires porte sur la part de matières premières agricoles et prévoit des mécanismes de transparence sur ladite part.
La loi Égalim 3 (2023) est intervenue afin de renforcer les mesures précédentes et corriger certaines pratiques. Elle a notamment introduit des dispositions visant à renforcer la bonne foi dans les négociations, à encadrer l’échec des négociations, à plafonner les pénalités logistiques et à renforcer les sanctions en cas de non-respect des dates butoirs.
Dans la loi Égalim 2, la fameuse option 3 est souvent pointée du doigt par les producteurs ? Quelle est la particularité de cette option par rapport aux deux autres ? Et pourquoi cela coince-t-il ?
Depuis la loi Égalim 2, en application de l’article L441-1-1 du Code de commerce, trois options sont offertes au fournisseur afin de garantir que la négociation de la convention unique ne porte pas sur la part de matières premières agricoles : les deux premières options consistent à présenter à l’acheteur, dans les CGV, la part – en volume et en prix – des matières premières agricoles et des produits transformés composés de plus de 50 % de matières premières agricoles – pour chacune d’entre elles (option 1) ou de manière agrégée (option 2) – dans le produit en cause.
La troisième option consiste, pour le fournisseur, à prévoir l’intervention d’un tiers indépendant pour certifier que la négociation avec l’acheteur n’a pas porté sur la part de l’évolution de tarif qui résulte de l’évolution du prix des matières premières agricoles ou des produits transformés composés de plus de 50 % de matières premières agricoles. Cette attestation doit être fournie dans le mois qui suit la conclusion du contrat. Ce mécanisme a été renforcé par la loi Égalim 3 : désormais, une attestation de tiers indépendant doit également être fournie ex ante, dès le début des négociations.
Avant l’entrée en vigueur de la loi Égalim 3, ce n’est qu’après les négociations que le tiers indépendant attestait qu’elles n’avaient pas porté sur la part de l’évolution du tarif résultant de celle du prix des matières premières agricoles ; les distributeurs ont pu remettre en cause ce fonctionnement en estimant qu’ils ne disposaient pas des informations nécessaires au cours de la négociation dès lors que le fournisseur devait être cru sur parole sur la part de l’évolution du tarif résultant de celle du prix des matières premières agricoles.
Avec la loi Égalim 3, l’attestation ex ante fournie à l’acheteur avant les négociations a pour objet de renforcer la transparence. Cependant, en pratique, le recours à l’option 3 peut s’avérer onéreux et complexe à mettre en œuvre pour les fournisseurs, a fortiori dans un calendrier de négociations contraint. De notre expérience, la complexité se trouve particulièrement accrue dans le cas de fournisseurs étrangers distribuant leurs produits en France ; dans ce cas, les difficultés interviennent dès le stade de la recherche du tiers indépendant. De leur côté, les distributeurs reprochent à l’option 3 un manque de transparence, par rapport aux deux premières options et appellent à sa suppression.
Les lois s’empilent et les problèmes persistent. Quelle est votre analyse vis-à-vis de ce phénomène ? Et quels seraient les éléments à faire évoluer dans la future loi Egalim 4 ?
Dans ce contexte juridique sans cesse mouvant, l’anticipation et l’adaptation deviennent plus que jamais les maîtres mots pour les entreprises et leurs conseils. À notre sens, les évolutions futures devraient aller dans le sens d’une plus grande clarté et d’une meilleure sécurité juridique pour l’ensemble des opérateurs.
Une meilleure prise en compte des impératifs du commerce international et une harmonisation des dispositifs au niveau européen seraient également souhaitables.
Qu’en est-il ailleurs en Europe ?
Nos voisins regardent de près ce qu’il se passe en France et prennent parfois exemple. On observe des différences notables en fonction de l’équilibre des opérateurs en présence.
En Belgique, une proposition de loi visant à garantir une meilleure rémunération du secteur agricole a été déposée récemment. Cette proposition reprend notamment certaines dispositions françaises des lois Égalim telles que des contrats écrits et des mécanismes de révision des prix, un relèvement du seuil de revente à pertes de 10 %. Cette initiative pourrait entraîner des répercussions sur les négociations commerciales en Europe et conduire à une législation similaire à Égalim à l’échelle européenne.
En Espagne, la loi laisse une grande marge de manœuvre aux différents acteurs, dans la limite de bonnes pratiques et de l’interdiction de vendre à perte, dans le but d’aboutir à des relations commerciales plus équilibrées. Certains producteurs reprochent un manque de contrôles effectifs.
En Allemagne, les rapports de force distributeurs-producteurs n’apparaissent pas aussi déséquilibrés qu’en France et le recours à l’organisation commune des marchés (OCM) y est privilégié pour améliorer les revenus de producteurs.
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